C’est la série « Serviteur du peuple » qui a révélé l’acteur Volodymyr Zelensky dans le rôle d’un président ukrainien aussi sincère et patriote que donquichottesque. La saison 3 de cette série a été diffusée en mars 2019, peu avant que Zelensky soit effectivement élu à la tête de l’Etat, avec un parti présidentiel appelé… « Serviteur du peuple ».
Dans l’ultime épisode de la série, le président de fiction parvient à assurer l’unité d’une Ukraine divisée en une vingtaine de principautés aux traits caricaturaux : le « duché de Galicie » aux notables marqués par leur tropisme pro-polonais, l’« émirat de Crimée » aux combattants mutiques et impressionnants, ou la « république du pèlerinage » des Juifs ultraorthodoxes, avec pour capitale Ouman. L’acteur-président, lui-même d’origine juive, faisait ainsi référence au très populaire pèlerinage, chaque Nouvel An juif, sur la tombe du rabbin Nahman à Ouman.
L’enthousiasme des « Bratslovers »
Le rabbin Nahman, né en 1772 à Bratslav, à deux cents kilomètres au sud-ouest de Kiev, est un arrière-petit-fils du Baal Chem Tov, le « maître du Bon nom », fondateur en Ukraine du courant hassidique et de son renouveau mystique de la piété juive. Plus encore que d’autres références hassidiques, le rabbin Nahman met la joie et la danse au cœur de sa pratique, malgré les tragédies qu’il traverse, jusqu’à sa mort de tuberculose, à l’âge de 38 ans, à Ouman, à cent kilomètres à l’est de Bratslav.
Ne laissant aucun successeur, il affirme cependant, juste avant son décès, que se rendre sur sa tombe pour Rosh Hashana, le Nouvel An juif, vaut restauration spirituelle. Le pèlerinage à Ouman, tombé en désuétude à l’époque soviétique, a spectaculairement repris depuis l’indépendance de l’Ukraine, du fait de l’enthousiasme des « Bratslovers », ainsi que les disciples du rabbin Nahman sont familièrement désignés.
Seul le risque de contagion par le Covid-19 peut, en 2020, conduire des milliers de pèlerins à rebrousser chemin devant les frontières closes de l’Ukraine. Le pèlerinage suivant est organisé en étroite coordination avec les autorités sanitaires d’Ukraine et d’Israël. Mais la guerre dissuade à l’évidence moins les fidèles que la pandémie, puisque 23 000 pèlerins se rendent à Ouman pour le Rosh Hashana de 2022, bravant les avertissements des gouvernements ukrainien et israélien.
La préparation du pèlerinage de 2023 est dès lors marquée par les polémiques en Israël. Le Premier ministre Nétanyahou, qui se vante de ses relations étroites avec Poutine, dissuade ses compatriotes de se rendre à Ouman en affirmant que « Dieu ne nous a pas toujours protégés, ni sur le sol européen, ni sur le sol ukrainien ». Ces propos sèment le trouble au sein des partis ultraorthodoxes, pourtant membres de la coalition gouvernementale. Le Shas rappelle que « Dieu a toujours protégé le peuple d’Israël durant tous ses exils », tandis que le député Yisrael Eichler adjure le Premier ministre de rester « silencieux lorsque [vous] blâmez le Dieu d’Israël pour [vos] échecs et [vos] crimes ».
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